Rachida Madani
A high school teacher and a poetess, Madani’s publications include: Femme Je Suis (1981); Tales of a Severed Head (translated by Marilyn Hacker 2001); Blessures au Vent (2006), and « Ce qui Aurait Pu Demeurer Silence (2017). She is also a painter. See some of her works below:
Rachida Madani
Injuries In The Wind
p. 11
Le soleil était à portée de main
du temps où j’avais un ciel
mais je marchais à l’ombre
et mon enfance avait la fraîcheur
d’une vitre cassée
harponnant des après-midi de peste
depuis je demeure
poète des mauvais jours
et
mauvais poète.
pp. 12-13
Je leur laisse le point
la virgule
toute la ponctuation
et le savoir-faire
depuis longtemps je ne m’étonne plus
ne m’interroge plus
ne m’arrête plus
je ne suis plus poète
que je ne suis l’oasis et la biche
dont tu rêves
Pèlerin mon vieux frère.
Mes mots sont devenus livides
sur la voie lactée de tes fantasmes
cité insomniaque
où je perds mon nom.
Et que je rase tes murs
mon délire conjugué à tes fontaines
ma bouche à tes bouches d’égout
où je vomis les détritus
d’un poème avorté
par où monte jusqu’au ciel
le cri décompose de mes entrailles
le seul cri spontané
de la femme détruite
vidée d’elle-même
agonisante.
Femme
je n’ai pas fini de rêver mon enfance
ni de lever chaque étoile
sur le sentier de l’attente
sentinelles veillant mes cimetières
où je m’assois sans compter
mes tombes
sans rien dire
guettant ton retour
Pèlerin mon vieux frère.
p.14
Par un soleil éclaté
ô Vincent
je perds plus qu’une Oreille
et vidée de mes visions
d’eau fraîche et de nacre
ruinée jusqu’à scander un vieux refrain
où il n’est plus question d’être
je prophétise nue
cou creusant l’aride
dans le manque capital du cri.
p. 15
Partir ainsi désarmée
quand le vent se lève !
Nous sommes deux ô Don Quichotte
à n’être plus que déchirés
et comme toi
pauvre justicier
j’ai toujours
moins de bras
que le Moulin.
p. 16
Ne pourra me chanter qu’un mauvais poète
je n’ai ni soleil dans les yeux
ni vagues dans la chevelure
pas même un parfum
exotique à hauteur d’aisselle,
je vais livide et vieillie
je vais rasant là où il fait gris
sur les murs.
Solitude de pierre et de mousse
j’ai désappris le langage des cités
d’émeraudes
je suis Shaharazade
à demi folle sur un minaret au ras du sol
contant aux décombres
mon dernier conte
avant l’aube écarlate
dont ma poitrine s’encombre.
p. 17
Lorsque tu es née ma sirène
le soleil s’est posé sur le bord
de ma fenêtre.
Je t’aime d’être si belle
de n’avoir ni mes yeux
ni mes mains
je t’aime
citoyenne des océans nocturnes
qui me ramène de loin.
p. 18
Tu n’es pas venu au monde
pour voir tes os blanchir
dans les eaux blanches
d’un Bou-reg-reg
ni pour contempler ton ombre décroître
sur les routes de détresse.
Prends feu à ma voix, frère
je détiens le privilège heureux
de semer l’orage.
Lève-toi et crie la nuit
si tu ose
soulève-la au-dessus de ta tête branlante
et jette-la au sol
si tu oses
la nuit casse comme du verre !
puis laisse parler ton kif
tu as le bouquet prophétique
quand tu chantes les catastrophes…
Lève-toi frère
chaque soleil couché
est un homme mort.
p.19
Viens cache-toi là
juste derrière mon coeur
tu y verras à travers
la vie aux longues dents.
Pourquoi le soleil est si petit
dis-tu avec tes mots d’enfant
pourquoi n’y en a-t-il pas
pour tout le monde?
pourquoi le ciel est si bas
que mes jouets s’y pendent ?
Pourquoi cette pluie de boue, de foetus
et d’amants désemparés sur la ville ?
Ces femmes qui ne violent plus
que leur nombre
allongées jusqu’à l’autre
pour un verre, un rêve,
un mégot ?
Pourquoi cette dame si jeune
sur ce chemin si nu
vers cette maison sans fenêtres ?
Pourquoi ces couloirs, ces rideaux
ces barreaux
cette solitude
ce parloir ?
Mais patience dis-tu, Patience
il fait déjà si tard dis-tu,
que l’eau se désenlace
qu’au coin des rues les hommes
piaffent et soufflent sur leur doigts
en guettant dis-tu
la première étoile
désamorçant l’aube.
p. 21
Je suis là
dans ta cellule
là dans un coin assise
depuis cinq ans là, vieux frère
pâle et taciturne
je te regarde
et dans mes yeux passent
les corbillards que tu n’as pas pu suivre.
Nous étions trente
dans une classe d’histoire
nous étions poètes, artistes
nous étions déjà hommes
déjà femmes
c’est pourquoi au tableau noir
nous pendions Mussolini
Von Hindenburg
et le vieux prof d’histoire
et nous chantions
nous chantions
nous chantions
Victoire.
Passent dans mes yeux
les corbillards que tu n’as pas pu suivre.
Mimoun le comédien des fêtes
de fin d’année
est devenue flic
il salue Mussolini
salue Hitler
salue Von Hindenburg
et le vieux prof d’Histoire.
Ne pleure pas vieux frère
sur les corbillards que tu n’as pas pu suivre.
Nous ne sommes plus trente
Hazlim notre poète
a jeté au feu sa pauvre tête aveugle
s’entoure de petits chiens et hurle aux hommes
à la pleine lune
un grand chant d’amour et de
rancune.
Ne pleure pas vieux frère
sur les corbillards que tu n’as pas pu suivre.
Nous ne sommes plus trente
Fatima grand clown amer
n’était pas belle, t’en souviens-tu ?
Son mari s’en est rendu compte
depuis aux pieds d’un juge
elle se suicide
avec de grands éclats de rire.
Ne pleure pas vieux frère
sur les corbillards que tu n’as pas pu suivre.
Nous ne sommes plus trente
l’Autre
notre soeur de bidonvilles
notre eau vive
la source fraîche de nos soifs
a fermé sur le monde
ses longs cils noir
morte de faim dans sa cellule.
Retiens tes larmes vieux frère
sur ce corbillard que tu n’as pas pu suivre.
Mais nous sommes bien plus
que trente
et je suis là,
dans ta cellule là, assise là dans un coin
depuis cinq ans là,
vieux frère
pâle et taciturne
tu me regardes
et dans tes yeux passent
des hommes brûlant les corbillards
brûlant Mussolini
brûlant Hitler
brûlant von Hindenburg
pour refaire
l’Histoire.
p. 24 – 25
Même sit u n’étais pas de ceux
qui chantent
tu étais mon frère de désespoir.
Poussiéreux, nomade et sans âge
tu avais bu à la même chèvre amère
et tu me disais : “ Ta voix est trop nue femme
ta chanson trop frêle
pour scander mon désespoir
prends ta colère à deux mains
et frappe.”
Le vent pousse les dunes
et le temps passé
ah, ces chansons matinales
entre les amandiers verts et roses
les chèvres et les rires
comme le sable était doux
et le monde malléable !
Mais le vent pousse les dunes
et le temps passé
tu es plus que jamais mon frère
de désespoir
ainsi démoli, piégé et sans mot
de passé.
Tu bois à une chèvre plus amère
et tu m’écris :
“ Le vent pousse les dunes
et le temps passe
comme notre chameau
est patient mon désespoir.
chante ô femme.
Chante notre colère
aux amandiers sans fleurs,
que ta voix accroche les étoiles.
Chante sur la margelle
de chaque puits où meurent
les chèvres orphelines.
Le vent pousse les dunes
et je passé
Chante ô femme.”