Mohammed Khaïr-Eddine
Le Remugle
pp.19-21
Ils puent, ils n’ont plus rien – tout nus, mangés au fil du fleuve sempiternel grossi de sang
des innocents; — leur peau navigue, bactérienne
jusqu’au lac Kivu où se dressa la faux et flottèrent les os
de ces enfants, rames brisées, meurtries aux lueurs du Crépuscule.
“Ils se sont étripés, c’est un meurtre notoire et générale. Un génocide!”
Il y a là la Famine, la Haine,
un Charognard qui affûte son bec, ses serres, ses prunelles…
La latérite s’illumine de sang
dans le couchant…
Ici, on s’entretue :
frénésie des peaux, des masques, massacres !
Ici, tout est permis, on viole, on assassin des religieuses dans le couvent; on est
le reliquat
des démons de la jungle.
A la Kalach, on y va,
à la machette, on subdivise qui vive !..
C’est la danse des sourciers prise dans la souricière… C’est la fuite effrénée
de ces ethnies rébarbatives!.. Ils tuent, ils errent,
marchent péniblement ! Ces hères sont aveugles, veules, haineux.
La Peur est une Loi passionnelle…
Où sont les vieux carquois, les lances et les arcs, ces flèches au curare?
Tous les morts se redressent, ils pleurent à l’unisson
sur ces haines miséreuses…
Lac! ô Lac, voici
le pur enterrement
de la terre rwandaise !
Ils se décomposent au fond d’un marigot putride.
Mais une fillette rampe, suivie à quelques pas par un vautours
A Aimé Césaire
pp. 22-23
Ce n’est pas la terre qui s’étiole,
c’est la Lampe du Rêve qui s’éteint
dans un Rire ulcérant…
Ce ne sont pas les stégomyies qui
enveniment le sourire solfatare
de nos chimies, ce sont les pullulations
extrêmes des populations…
C’est le grincement du sable gris
récurrent, à la médiane d’un vol sans
élytre, Mante !
d’un vol de neutrinos parmi
l’insaisissable ethnie à la machette
coupante…
“voici mon île lointaine, fille de Dorsale,
ô Patrie, très solitaire !
mais solitaire des savanes et du Hoggar qui
pèlent l’Afrique
sous la clarté des luminaires
dans le fouissement des météores,
frimas noirs du Soleil.
La Nuit craque et s’achève ; craque,
biscuit séché
aux gammas qui lient le Cercle au
Carré des Tumuli, du Baobab,
aux fléaux d’armes sous le nopal oubliés,
serpentaires itinérants !…
Comédie que cette brousse où les
crépitements du feu émettent des
criquets :
cheminement de licornes médusées
par une Enfance sauvage…
Ailleurs, c’est Toi bleu comme un lagon :
noire turquoise,
assaillie par les rouleaux
du poème et du Rythme.
Cactées
pp. 15-16
Comme examiner le cercle des cactées;
c’est tout l’été qui sous-tend ça?
Comment décomplexer le cercle des
cactées,
plantes denaturées,
concoctées à l’usine?
Comment, dites comment
leur interdire d’exclure du Néant
les malvacées?
L’aurore est boréale, le ciel bleu marine,
rougi
par le fleuve latéritique qui draine
tes toxicomanies. Mercure!
Celle qui montait du Canada, l’Alose,
jamais ne reviendra…
Nautoniers, usiniers, cracheurs
de plomb, de souffre,
jamais ne reviendra celle
que vos ancêtres dégustèrent
à l’intérieur d’un poème
sans imprécation.